DEVANT UN DESSIN

de Benjamin L. Aman, nous sommes devant une impossible mesure du temps de la nuit, de la sorgue – qui désignait la nuit dans l’argot des paysans au Moyen-Âge – voire des ténèbres. Nous sommes au bord de la falaise dans la nuit tombante, à moins que ce ne soit au moment des premières lueurs du jour. Enveloppés dans le voile du crépuscule ou dans celui des fantômes de l’aube. Nous sommes devant l’extension infinie d’un horizon qui vacille à peine, dans une vibration constante et indéterminée entre l’apparition et la disparition. Entre l’avènement du jour et son tarissement. La possibilité ténue de l’espace d’un paysage se maintient dans le dépeuplement du temps.

Une lumière du noir ou une matière noire. Dans une posture minimaliste et délicate que je rapprocherais volontiers d’un Robert Ryman, la lumière, sa présence, et même plutôt son immanence est une question centrale dans le travail de l’artiste, dans sa pratique du dessin et de ses installations. Cette matière noire et toutes les subtilités de ses nuances, parfois alliée à une autre couleur tout aussi vibratile, comme un bleu océanique profond, cette matière reste aérienne malgré sa tourbe, sa teinte de terre volcanique. Elle bruit incontestablement au contact de la lumière naturelle. Noir velouté, le pastel. Noir soyeux légèrement métallique, le graphite. La sensualité caverneuse de ces deux matériaux de prédilection de Benjamin L. Aman éveille une irrésistible métaphore de la très peu lumineuse constellation, la Chevelure de Bérénice.

Il n’y a pas d’image stabilisée dans une apparence. Il n’y a pas d’image chevillée au support du papier. Et pourtant, je ne suis pas devant le vide, mais dans une relation intime qui se tisse avec ces horizons. Une image peut émerger au bout de la Falaise ou au-delà, ne serait-ce que mes propres visions intérieures. Dans ces espaces ouverts, que nous pouvons tout autant éprouver à l’écoute du travail sonore que dans une installation de l’artiste, s’augurent toutes sortes d’errances songeuses, méditatives, sans doute parce qu’ils aspirent à une sensation pure, une limite tendue entre le spectre de la lumière et la chute du temps.

   Juliette Fontaine (2019)